Le clan des Deux Rivières (1)

La première publication de cet article a eu lieu le 11 août 2011.

Première partie : genèse et éclosion

Le clan des Deux Rivières
Eut la vie éphémère
D’une graine qui meurt
Pour que naisse une fleur

Le récit qu’on va lire raconte comment les chemins de quatre scouts de Tubize-Bruyère — Faon, Fennec, Castor et Aiglon — aboutirent à Saintes pour démarrer la troupe Sainte-Renelde.

Près de la nouvelle église ronde de Tubize-Bruyère, au cœur de la dynamique paroisse du Christ Ressuscité, la cure de la Bruyère était la maison du bon Dieu. Les jeunes de Tubize-Bruyère mais aussi de Tubize-Centre et d’ailleurs pouvaient y passer quand ils voulaient. On y rencontrait des prêtres d’avant-garde, des universitaires ainsi que des garçons et des filles de tous bords provenant des milieux industriels, commerçants et ouvriers de Tubize. Parmi cette jeunesse bouillonnante vivait un homme un peu plus âgé dont l’esprit ouvert et intelligent était tout imprégné de douceur, de compréhension et de tolérance. On l’appelait l’abbé Jean.

La paroisse disposait d’une unité scoute comprenant une meute, une troupe, une ronde et une compagnie. Mais il n’y avait pas de clan. Le foulard était vert foncé à bord blanc. Chacun fréquentait l’église, parfois aussi la cure. La troupe unitaire 12-17 avait opté pour le nouvel uniforme lancé en 1964 par la Fédération : pantalon court ou long de velours beige, chemise à poche de cœur, bleue pour les scouts, grise pour les chefs et pull en V beige. Mais le foulard avait disparu.

À la différence d’une sizaine qui se démarque peu de la meute, chaque patrouille avait développé en quelques camps son caractère propre, ses traditions. Aux cris de « Panthère en chasse ! », « Mouette plus haut ! », « Sanglier fais face ! », aux nœuds d’épaule jaune et bleu, rouge et bleu, gris et orange répondaient trois mentalités différentes, trois esprits de patrouille bien marqués.

Fig. 1. Août 1966. Grand camp de Malonne. Une partie de la patrouille des Panthères. De gauche à droite : Faon (CP), Okapi, Goéland et Fennec. Au premier plan, faisant sa promesse à genoux : Bruno de la troupe de Hal. À l’arrière-plan, entre Faon et Okapi : le père de Faon portant son fils Yves dans les bras. Entre Goéland et Fennec : le père de Chamois.

Fig. 1. Août 1966. Grand camp de Malonne. Une partie de la patrouille des Panthères. De gauche à droite : Faon (CP), Okapi, Goéland et Fennec. Au premier plan, faisant sa promesse à genoux : Bruno de la troupe de Hal. À l’arrière-plan, entre Faon et Okapi : le père de Faon portant son fils Yves dans les bras. Entre Goéland et Fennec : le père de Chamois.

Fig. 2. Août 1968. Grand camp de Brûly-de-Pesche. La patrouille des Panthères. De gauche à droite : Goéland, Fennec, Castor, Aiglon, Héron, Marcello et Okapi (CP).

Fig. 2. Août 1968. Grand camp de Brûly-de-Pesche. La patrouille des Panthères. De gauche à droite : Goéland, Fennec, Castor, Aiglon, Héron, Marcello et Okapi (CP).

Fig. 3. Avril 1967. Hike de Surice. La patrouille des Sangliers. De gauche à droite : Fouine, Fauvette (CP), Écureuil, Julo, Puma et Chamois. Roberto prend la photo.

Fig. 3. Avril 1967. Hike de Surice. La patrouille des Sangliers. De gauche à droite : Fouine, Fauvette (CP), Écureuil, Julo, Puma et Chamois. Roberto prend la photo.

Fig. 4. Février 1968. Hike de Saint-Idesbald. La patrouille des Sangliers. Debout, de gauche à droite : un scout de passage, Écureuil et Puma. Accroupis ou assis, de gauche à droite : Roberto, Lynx, Étalon et Chamois. Presque couché : Fauvette (CP).

Fig. 4. Février 1968. Hike de Saint-Idesbald. La patrouille des Sangliers. Debout, de gauche à droite : un scout de passage, Écureuil et Puma. Accroupis ou assis, de gauche à droite : Roberto, Lynx, Étalon et Chamois. Presque couché : Fauvette (CP).

Lapin modéré avait reçu sa formation scoute à Nivelles. Il débarqua à la Bruyère comme chef de troupe après le grand camp de Malonne 1966. Taciturne, râleur, autoritaire, prompt à l’engueulade, il parvint à réinstaurer la discipline dans une troupe sans chef depuis plusieurs mois. En même temps, il introduisait la culture d’une troupe de collège. Mais il est toujours resté distant envers les scouts. En dehors des réunions, il adorait la discussion et se lançait volontiers dans des tirades enflammées sur la jeunesse et la société.

Phoque discret fut d’abord assistant puis progressivement chef de troupe. Sa poignée de main flasque et lasse, sa politesse feinte, la faute d’orthographe dans sa formule favorite Meilleurs amitiés dissimulaient mal une instruction moyenne, une faible érudition, un fond sans-gêne et la conviction qu’une fois chef, il apporterait enfin la bonne parole. Bien qu’il ne s’intéressât pas aux filles, il était le cousin de quatre sœurs, quatre sirènes qui elles surent bien s’intéresser aux garçons.

Faon tu promets était scout dans toute l’acceptation du terme. Volontaire, passionné, plein de bon sens, écoutant son bon cœur, il était en prise directe avec les événements, avec les gens. La réalité chez lui ne se réduisait pas à des idées, à des concepts. Le contact était franc, le dialogue sincère, les problèmes abordés de face. Il faisait toujours bon se trouver en sa compagnie : son regard réchauffait, sa parole encourageait, son savoir éclairait, son énergie rassurait, sa soif de connaître et de comprendre stimulait et fortifiait. Pouvoir s’associer à ses activités était une grande joie. Lorsqu’il devint CP des Panthères, le départ de ses aînés l’affecta, notamment celui de Daguet à la meute. Mais il avait poursuivi leur travail et affermi l’esprit de la patrouille. C’est dans ce climat réconfortant que grandirent Koala, Okapi, Goéland, Fennec, Marcassin, Castor et Aiglon.

À la Bruyère, les scouts trop âgés qui ne quittaient pas l’unité devenaient automatiquement assistants à la meute ou à la troupe. On observa ainsi à partir du grand camp de Forzée 1967 un accroissement significatif du staff de troupe. Il compta jusqu’à neuf effectifs. Après le grand camp de Brûly-de-Pesche 1968, on porta remède à cette inflation en créant des ateliers, une nouvelle structure à la mode. Chaque atelier constitué sur base volontaire devait approfondir une technique particulière sous la conduite d’un président. On a vu naître en un an l’atelier électricité, l’atelier bricolage, l’atelier carto, l’atelier nature, l’atelier sport, l’atelier reportage et l’atelier pionniérisme. Mais la technique pour la technique n’intéressait finalement pas grand monde. Par contre, les liens qui unissaient les assistants et les présidents d’atelier à leur patrouille d’origine restaient bien vivants. En réalité, à part l’atelier carto qui atteignit une maturité complète, les autres furent éphémères ou ne démarrèrent jamais vraiment.

Grâce à la visite des parents pendant le grand camp, il est possible de mettre un visage sur les dirigeants de l’époque : le chef d’unité (CU), l’aumônier de troupe (AuT), le chef de troupe (CT), les assistants (AT).

6708 - Forzée 1A - Rassemblement

Fig. 5. Août 1967. Grand camp de Forzée. Rassemblement. Deux vues issues de la même photo. À l’arrière-plan, de gauche à droite : l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT) et Marmotte (CU). Au premier plan, de dos, la patrouille des Mouettes. De gauche à droite : Hamster (CP), Panda, Kiwi, Tapir, Lièvre, Lynx et Blaireau. À droite, peu visible et tournant le dos aux parents, la patrouille des Sangliers. De gauche à droite : Fauvette (CP) caché par Tapir, Écureuil, Étalon, Puma caché par Lièvre, un scout caché par Lynx et Julo. Entre Kiwi et Tapir, à la droite de Fauvette : Fouine en civil.

Fig. 5. Août 1967. Grand camp de Forzée. Rassemblement. Deux vues issues de la même photo. À l’arrière-plan, de gauche à droite : l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT) et Marmotte (CU). Au premier plan, de dos, la patrouille des Mouettes. De gauche à droite : Hamster (CP), Panda, Kiwi, Tapir, Lièvre, Lynx et Blaireau. À droite, peu visible et tournant le dos aux parents, la patrouille des Sangliers. De gauche à droite : Fauvette (CP) caché par Tapir, Écureuil, Étalon, Puma caché par Lièvre, un scout caché par Lynx et Julo. Entre Kiwi et Tapir, à la droite de Fauvette : Fouine en civil.

Fig. 6. Août 1967. Grand camp de Forzée. Promesse de Marcassin des Panthères. Au premier plan, de gauche à droite : l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT), Marcassin qui reçoit sa croix scoute, Castor et Faon (CP des Panthères). Au second plan, de gauche à droite : Fauvette (CP des Sangliers), Écureuil, Étalon et Puma.

Fig. 6. Août 1967. Grand camp de Forzée. Promesse de Marcassin des Panthères. Au premier plan, de gauche à droite : l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT), Marcassin qui reçoit sa croix scoute, Castor et Faon (CP des Panthères). Au second plan, de gauche à droite : Fauvette (CP des Sangliers), Écureuil, Étalon et Puma.

Fig. 7. Août 1967. Grand camp de Forzée. Promesse de Panda des Mouettes. Au premier plan, de gauche à droite : Lapin (CT), Marmotte (CU), Phoque (AT), Panda qui fait sa promesse et Hamster (CP des Mouettes).

Fig. 7. Août 1967. Grand camp de Forzée. Promesse de Panda des Mouettes. Au premier plan, de gauche à droite : Lapin (CT), Marmotte (CU), Phoque (AT), Panda qui fait sa promesse et Hamster (CP des Mouettes).

 

Fig. 8. Août 1967. Grand camp de Forzée. Promesse d’Étalon et Écureuil des Sangliers. Au premier plan, de gauche à droite : Lapin (CT), Étalon et Écureuil qui ont fait leur promesse et Fauvette (CP des Sangliers). Au second plan, de gauche à droite : Marmotte (CU) et Phoque (AT).

Fig. 8. Août 1967. Grand camp de Forzée. Promesse d’Étalon et Écureuil des Sangliers. Au premier plan, de gauche à droite : Lapin (CT), Étalon et Écureuil qui ont fait leur promesse et Fauvette (CP des Sangliers). Au second plan, de gauche à droite : Marmotte (CU) et Phoque (AT).

6808 - Brûly-de-Pesche 2A - Promesse de Renard

Fig. 9. Août 1968. Grand camp de Brûly-de-Pesche. Promesse de Renard des Mouettes. Deux vues issues de la même photo. À gauche : Okapi (CP des Panthères). Au premier plan, de dos, de gauche à droite : Blaireau (CP des Mouettes), Daim et Renard qui fait sa promesse. Au second plan, de gauche à droite : Faon (AT), l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT), Hamster (AT), Phoque (AT), Fouine (AT) et Pécari (AT).

Fig. 9. Août 1968. Grand camp de Brûly-de-Pesche. Promesse de Renard des Mouettes. Deux vues issues de la même photo. À gauche : Okapi (CP des Panthères). Au premier plan, de dos, de gauche à droite : Blaireau (CP des Mouettes), Daim et Renard qui fait sa promesse. Au second plan, de gauche à droite : Faon (AT), l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT), Hamster (AT), Phoque (AT), Fouine (AT) et Pécari (AT).

6808 - Brûly-de-Pesche 3A - Promesse de Daim

Fig. 10. Août 1968. Grand camp de Brûly-de-Pesche. Promesse de Daim des Mouettes. Deux vues issues de la même photo. De gauche à droite : Fauvette (CP des Sangliers), Marcello, Daim qui fait sa promesse, Okapi (CP des Panthères), Faon (AT), l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT), Phoque (AT), Fouine (AT), Pécari (AT) et Koala (AT).

Fig. 10. Août 1968. Grand camp de Brûly-de-Pesche. Promesse de Daim des Mouettes. Deux vues issues de la même photo. De gauche à droite : Fauvette (CP des Sangliers), Marcello, Daim qui fait sa promesse, Okapi (CP des Panthères), Faon (AT), l’abbé Jean (AuT), Lapin (CT), Phoque (AT), Fouine (AT), Pécari (AT) et Koala (AT).

Attiré par le chant des sirènes, Lapin cessa peu à peu d’être régulier. Ses absences offrirent à Phoque l’opportunité de prendre la troupe en main. Soutenu par les familles bien pensantes dont il faisait partie, stimulé par les universitaires qu’il fréquentait à la cure et par Albert, second aumônier récemment débarqué, il obtint bientôt plus de pouvoir que le chef de troupe lui-même. Les responsabilités qu’il offrait aux scouts ne lui servaient qu’à les manipuler, à préparer son avènement. En plus il sondait, enquêtait, reprochait, critiquait, attaquait. Sa cible de prédilection était la patrouille des Panthères. Il n’acceptait pas que ses membres anciens ou actuels fussent rebelles.

En dehors de sa famille, de ses études et des scouts, Faon n’appartenait à aucun groupe, à aucune caste. Il suivait son chemin sans être ébloui par le miroir aux alouettes de la mode, du changement, de la nouveauté. Il ne recherchait pas l’approbation des autres. Il agissait librement, en conscience. Mais il était seul face au bloc paroissial. Pour Phoque, il ne suivait pas le droit chemin. Il était donc indésirable.

Plusieurs idées nouvelles firent alors leur apparition. Elles nous semblaient provenir d’un autre monde. À leur annonce, les scouts se sentirent désorientés. On fit l’acquisition pour le woodcraft d’un stock de bois de mine. Pas question de le scier, plus question d’encore abattre un arbre, les haches et les scies serviraient désormais à couper le bois à brûler. On supprima du grand camp la visite des parents. On inventa les pistoles, une monnaie de camp. On instaura une nouvelle forme de totémisation plus douce. On se lança dans des actions sociales parallèles : accueil d’enfants, messe des jeunes, opérations de solidarité. On augmenta le nombre d’activités rémunératrices en ajoutant à la fête d’unité et à la kermesse aux boudins une collecte de papiers, un lavage de voitures, une vente de cartes de soutien. On alla jusqu’à fusionner les caisses des quatre sections de l’unité.

Le chamboulement du grand camp, l’engouement pour les œuvres sociales, la quête d’argent, tout cela entraînait une érosion des véritables valeurs scoutes. L’esprit de base se trouvait relégué à l’arrière-plan. On préférait les idées du moment, les innovations dérisoires, les modifications de détail, les futilités. Qu’était donc devenue la philosophie de Baden-Powell qui enseignait aux adolescents comment devenir des hommes ?

Le climat commença à se dégrader. Faon enfreignait volontairement et ostensiblement les instructions et les ordres. Il fuyait Lapin. Il n’acceptait pas l’autorité de Phoque qu’il surnommait la marionnette hypocrite. Pour faire régner malgré tout l’esprit scout, il se consacra entièrement et exclusivement à l’atelier carto. Pendant un an, avec Koala, Castor et Aiglon des Panthères, Blaireau des Mouettes et Écureuil des Sangliers, il construisit une sorte de patrouille libre. Il transforma les combles de la cure en un local carto bien équipé et organisa le camp carto du Mesnil 1969 sous hutte. Cohérent avec lui-même, il ne participa pas au grand camp de Faulx-les-Tombes 1969. En réalité, le germe de la dissidence était déjà bien présent.

Fig. 11. Août 1969. Camp carto. De gauche à droite : Blaireau, Castor, Écureuil, Aiglon et Faon. Koala prend la photo.

Fig. 11. Août 1969. Camp carto. De gauche à droite : Blaireau, Castor, Écureuil, Aiglon et Faon. Koala prend la photo.

Fig. 12. Août 1969. Camp carto. Repas dans un bistrot. De gauche à droite : Aiglon, Faon, Blaireau, Écureuil et Castor. Koala prend la photo.

Fig. 12. Août 1969. Camp carto. Repas dans un bistrot. De gauche à droite : Aiglon, Faon, Blaireau, Écureuil et Castor. Koala prend la photo.

Fig. 13. Août 1969. Camp carto. Le Mesnil. Visite de Fennec et Marcassin. Debout, de gauche à droite : Écureuil, Castor, Marcassin, Koala, Blaireau et Fennec. Accroupis, de gauche à droite : Aiglon et Faon.

Fig. 13. Août 1969. Camp carto. Le Mesnil. Visite de Fennec et Marcassin. Debout, de gauche à droite: Écureuil, Castor, Marcassin, Koala, Blaireau et Fennec. Accroupis, de gauche à droite : Aiglon et Faon.

À partir de l’automne, le processus s’emballa. Phoque désormais chef de troupe en titre réorganisa les patrouilles. Castor partit comme second des Mouettes. Écureuil et Aiglon devinrent CP et second d’une quatrième patrouille : les Loups. Chamois fut mis à la porte. En battant les cartes, le nouveau maître des lieux mettait la troupe à plat. Il abolissait les esprits de patrouille. Le chaos s’installa. Faon démissionna en octobre. En février, Castor et Aiglon furent mis à la porte. Après le hike de Pâques 1970, six démissions tombèrent en un mois : Écureuil, Okapi, Fennec, Goéland, Marcassin et Koala. En peu de temps, la troupe avait perdu quatre assistants, deux CP et trois seconds. Seul survivant de l’atelier carto, Blaireau hésita. Il préféra rester. Lynx, frère jumeau d’Okapi, ancien des Mouettes puis des Sangliers rejoignit les dissidents. Il y en avait maintenant dix. Une forte cohésion les unissait. De nouveaux horizons s’ouvraient à eux. Une immense sensation de liberté et d’indépendance leur faisait pousser des ailes.