Par les champs

La première publication de cet article a eu lieu le 24 octobre 2007 suite à la fête du 35e anniversaire.

Je suis arrivé à Tubize en août 1957 quand mon père est entré à Fabelta.

Un prêtre d’avant-garde originaire de Bruxelles avait fondé une nouvelle paroisse à la Bruyère. On y bâtissait une étrange église ronde sur un ancien dépotoir. Sa dédicace fut fêtée le 18 octobre 1958. Dans la foulée de cet élan novateur, des scouts vinrent démarrer une troupe en octobre 1961 et une meute en septembre 1964. Portant foulard vert foncé à bord blanc, la nouvelle unité allait s’appeler 17e Brabant-Wallon, 7e Nivelles, 7e Waterloo et 5e Forges et Bruyères. C’est là qu’en septembre 1965, Faon me prit sous son aile. Il était CP des Panthères. Il m’a appris le scoutisme et la nature.

Quand il devint assistant, il monta un atelier pour enseigner la cartographie sur le terrain. Le staff de troupe qui était alors composite et trop nombreux voulut tout restructurer à coup de théories. Mais le cœur manquait. On ignora le passé des scouts. L’esprit des patrouilles fut anéanti. Il y eut même des renvois. Faon ne put s’accommoder de ces méthodes. Les édiles de la paroisse jugeant ses idées inconciliables avec le conformisme de rigueur le déclarèrent persona non grata. Il démissionna en octobre 1969. Six mois plus tard, le nombre de transfuges s’élevait à dix. Un onzième hésita mais résista. Il allait construire plus tard un poste de pionniers sur les cendres des patrouilles défuntes.

Faon se trouvait tout naturellement à la tête des dissidents. Il débordait de projets et suscitait notre admiration. Nous avons d’abord ressemblé à la célèbre patrouille des Castors. Les héros de Charlier et Mitacq nous séduisaient par leur indépendance et leur liberté. La haute estime dans laquelle Faon tenait mon père, ancien scout de Bruxelles entraîna rapidement notre rattachement à la Fédération. Nous devînmes alors le clan des Deux Rivières de la 7e unité des Forges et Bruyères, sans aucun lien paroissial, avec mon père comme chef d’unité.

Quelques années plus tôt, l’uniforme avait été repensé. Le pantalon bleu marine et la chemise bleue à poches et épaulettes avaient fait place à un pantalon beige et une chemise de flanelle. Nous avions subi ce nouvel uniforme sans fierté, sans goût. À présent nous pouvions décider de porter l’ancien, seule image du scoutisme acceptable à nos yeux. Et le foulard, quelles couleurs allions-nous lui donner ? Évidemment le bleu et le jaune, les couleurs des Panthères et en sens inverse des Castors !

En août 1970, nous descendîmes la Semois en radeau. Ensuite, les activités du clan connurent des succès plus mitigés. Puis vinrent les camps itinérants… Faon et moi partagions la même passion pour la nature, le travail à la ferme et la vie des moines. Armés de nos cartes IGN, nous aimions découvrir les villages, les hameaux, les arbres remarquables, les vergers, les bois, les forêts, les sentiers, les ruisseaux, les sources, les clairières, les plantes sauvages, les champignons, les animaux en liberté, les oiseaux, les étoiles… Toute la nature nous enchantait. Quand nous préparions nos équipées, je recevais chez lui un accueil chaleureux. Bien que ce ne fût pas encore à la mode, les caves de ses parents et de sa grand-mère regorgeaient des meilleures bières belges. Nous les savourions en refaisant le monde. Ma préférence allait à la suavité de la Triple Leffe capsule verte et la sienne à l’amertume de l’Orval. Un soir, nous nous sommes imaginés partir de Leffe avec nos sacs à dos, marcher au plus court à la carte, dormir dans les granges, passer par Rochefort et arriver à Orval, point d’orgue de notre rêve. Ça nous semblait fou, impossible. Ce fut notre premier camp itinérant.

D’avril 1971 à juillet 1972, malgré quelques recrues passagères, six camps itinérants eurent raison des moins accros : nous n’étions plus que quatre. Dans le même temps, Faon élaborait un projet plus vaste, plus ambitieux. Il voulait fonder une troupe scoute en dehors de Tubize, une troupe unitaire parce que la séparation en éclaireurs et pionniers ne nous paraissait pas un bon choix. Il évalua soigneusement tous les villages d’alentour et il conclut : nous ne pourrions faire germer la précieuse graine que dans la terre d’un seul d’entre eux. Et c’est ainsi qu’encouragés par mon père, nous partîmes à l’assaut de Saintes l’inconnue.

La cure fut notre premier point de chute. L’abbé Delacroix était large d’esprit et nous accueillit avec chaleur. Son rôle allait être déterminant. Nous avons ciblé les familles, rendu visite aux parents. L’espoir se lisait au fond de nos yeux. Saintes y fut sensible. La première réunion eut lieu dans le parc de la cure le 17 octobre 1971. On forma les patrouilles. Castor et Aiglon nous avaient rejoints car l’entreprise allait être périlleuse : nous avions un an pour faire avec de jeunes garçons curieux des scouts capables de vivre un grand camp sous tente.

Depuis notre envol de Tubize jusqu’à notre essaimage à Saintes, un an et demi s’étaient écoulés. Sur nos désirs d’indépendance et de liberté s’était greffée l’envie de transmettre les perles du scoutisme. En mourant, le clan des Deux Rivières donnait naissance à la troupe Sainte-Renelde.

Pendant trois ans, nous nous sommes rendus à pied de Tubize à Saintes par les champs. Les communes n’avaient pas encore fusionné. L’autoroute n’existait pas. Les deux premiers CP n’ont pas mordu. Élan et Chat les remplacèrent au pied levé avec ferveur. Ce sont eux qui allaient assurer la relève après trois grands camps sous tente. Les deux patrouilles comptèrent quinze scouts à Vencimont en 1972, douze à Rochehaut en 1973 et treize à Transinne en 1974. Faon me passa son nœud d’épaule vert après Rochehaut puis moi à Élan après Transinne.

La graine que nous avions semée, soignée et tant aimée maintenant fleurissait. Elle allait bientôt donner des fruits. Nous sommes rentrés à Tubize sur la pointe des pieds par les champs.

J’ai quitté Tubize en novembre 1975 quand je me suis marié.